« J’ai longtemps refusé de te parler, je ne voulais même pas te regarder, alors t’adresser la parole ? Même pas en rêve. Je t’ai détesté, je t’ai torturé, je t’ai charcuté pour faire de toi ce que je croyais vouloir. Et aujourd’hui, je viens m’excuser. Je réalise que je ne sais même plus comment j’aurais aimé que tu sois. Je ne sais plus si l’image que j’ai de toi est la mienne ou si elle a été façonnée par d’autres, et j’imagine combien tu dois te sentir mal à cause de moi…
seins, ta cellulite, tes vergetures, tes petits boutons, tes cheveux trop plats et ton nez cassé (alors que c’est moi qui l’ai brisé, pardon pour ça aussi, mais ça, c’était involontaire…). Je m’en veux de t’avoir si souvent caché derrière des vêtements disproportionnés, d’avoir recouvert ton visage de produits variés pour effacer tout ce qui me déplaisait chez toi. Je m’en veux d’avoir été tellement incapable de voir ce que tu avais de beau que je t’ai rendu laid avec toutes ces marques, celles que j’ai faites de mes mains, celles qui sont involontaires, celles que la maladie a laissées. Pardonne-moi pour les régimes fous, pour le sport violent, pour les crises de nerfs, pour les attaques externes et internes qui ont bien failli te tuer, pour tout ce que j’ai fait qui a été douloureux pour toi. Je ne pensais pas à mal, je te le jure. Je n’arrivais juste pas à t’aimer…
Mais tu l’as remarqué, les choses ont changé ! Je suis plus attentive à toi aujourd’hui, j’écoute ta voix quand tu me dis que tu as faim, je l’écoute quand elle me dit que tu en as assez, je l’entends me dire d’aller me défouler un peu, sans pour autant courir chaque jour comme une dératée. Je t’écoute, je te regarde, je te chéris et j’apprends à te défendre contre les regards et les mots des autres. Je ne te laisserai plus seul dans cette bataille.
Je ne te promets pas de toujours tout aimer de toi, j’ai encore bien du mal à trouver ton ventre joli ou tes cuisses désirables, je continue à teindre parfois tes cheveux, juste par plaisir, il m’arrivera encore de peindre tes lèvres et peut-être même d’allonger tes cils, je continuerai à retirer tes poils qui me déplaisent, je compte bien remettre droit ce nez abimé (je répare ce que j’ai cassé, ne m’en veux pas), et il m’arrivera encore de penser que toi, mon cher corps, tu n’es pas celui que j’aurais souhaité. Mais promis, je me reprendrai vite. Je ne laisserai plus personne me dire, te dire, que tu es trop gros, puis trop mince, trop fatigué, trop musclé, trop tatoué… tu n’es pas trop, tu es mien, et je prendrai soin de toi à ma façon, en commençant par accepter que tu es imparfait et en t’aimant malgré tout pour ce que tu es.
Moi qui me moque bien des corps voisins, j’ai tant jugé le mien… Je t’ai jugé, mon corps, je t’ai maudis, et je ne sais plus vraiment pourquoi, à présent. Tu sais, tu es joli avec tes yeux bleus, tes petits seins, tes cuisses musclées, notre vie marquée sur ta peau, tes ongles peints et tes doigts fins. Tu es joli avec tes poignées d’amour, tes genoux de travers, tes grands pieds, tes épaules carrées et parfois ton acné. Tu es joli, je le réalise. Je n’arrêterai plus jamais de te le répéter. Ce sera toi et moi contre le reste du monde, et cette bataille, on la gagnera, ça, je te le promets ! »
EriKa Boyer
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